Nous partageons tous ici le vécu d’une expérience commune à laquelle aucun de nous n’était fondamentalement préparé et qui, après un long chemin vers la résilience et l’acceptation, doit définitivement faire de nous de meilleures personnes.
Meilleures du fait d’une conscience profonde, d’une plus grande ouverture d’esprit, d’une véritable « force intérieure », d’une plus grande sensibilité et d’un épanouissement riche de sens.
Je suis un Papa immensément fier. Fier du combat mené, fier de la pugnacité de ma petite fille au quotidien, fier des immenses progrès qu’elle accomplit… fier de ma femme, fier de mon fils, fier de ma Famille. Fier de tout ce que nous avons construit, fier du sens de notre vie.
Malheureusement, derrière cette fierté, il y a aussi beaucoup de regrets, et des craintes. Des regrets liés à tout ce que je n’ai pas bien fait, à tout ce que j’ai mis trop de temps à comprendre (tout seul) ; et un sentiment de crainte face à ce que je cours le risque de perdre aujourd’hui bien malgré moi.
C’est pourquoi je me permets ces petits conseils, ces petits retours d’expérience que je souhaite vous partager avec la plus grande humilité, avec une immense bienveillance, mais aussi avec le sentiment du devoir. Le devoir de partager ce qu’il m’aurait été ô combien précieux de lire ou d’entendre il y a longtemps.
Acceptez la fatalité
Nous sommes tous tentés, au départ, de chercher à comprendre ce qui a bien pu se passer. C’est bien naturel, mais il y a beaucoup trop de temps et d’énergie à perdre à trop vouloir essayer d’expliquer l’inexplicable. Ne vous épuisez pas dans ces questionnements sans fin, ne vous faites pas de mal, ni moralement ni physiquement.
Ne vous perdez pas dans des recherches insensées de liens de causalité totalement absurdes. Il est parfaitement vain et inutile de dérouler la pellicule des derniers mois ou des dernières années à la recherche d’indices mystérieux (Et si je n’avais pas fait ça lorsque j’étais enceinte ? Et si j’avais accouché à tel endroit plutôt qu’à tel autre ? Et si j’avais eu un autre obstétricien ? Et pourquoi le pédiatre ne m’a rien dit ? Et si… et si… et si…
Face à cette épreuve, il n’y a aucune place pour le déterminisme ; on est dans le fatalisme le plus brut, le plus bête, le plus violent. Aucun élément tangible n’a à ce jour été identifié pour expliquer l’origine de ce syndrome ; qui reste par ailleurs indétectable à ce jour au cours de la grossesse dans l’immense majorité des cas.
Les épreuves tombent souvent comme la foudre, sans prévenir. En l’occurrence, ces microdélétions sont purement accidentelles, et vous n’y êtes donc pour rien. Ni la maman, ni le papa, ni personne. Il est donc parfaitement vain de chercher un(e) responsable, et il est tout aussi inutile d’en vouloir aux gens qui vont bien, à tous ceux qui sont heureux, à tous ceux qui dorment d’un sommeil léger.
Si la Vie avec un grand V vous a confié un Kool Kid c’est peut-être parce que quelqu’un là-haut a jugé que vous étiez suffisamment bon et fort pour accomplir cette mission.
Chacun son rythme
Comme dans la plupart des grandes épreuves, le (très) long chemin qui vous mènera de la détresse jusqu’à la fierté se découpe en trois grandes phases : le déni d’abord, la colère ensuite, l’acceptation enfin. S’il y a une chose à retenir, c’est que ce processus de « deuil » est très personnel et qu’il faut impérativement respecter le rythme de l’autre : ne pas lui en vouloir d’être en avance ou bien en retard par rapport à vous-même, ne pas chercher à tout prix à le synchroniser avec votre propre avancement.
Chacun a sa propre sensibilité, ses propres repères, son vécu, ses points d’appui, ses appréhensions. Parlez-vous, enrichissez-vous mutuellement et avancez à votre rythme.
Ne jugez pas votre entourage
Ce défi que la Vie vous a confié, il n’y a (presque) que vous qui pouvez le comprendre et en mesurer la profondeur et la dimension. Il y a fort à parier que vous ayez à faire face à certaines situations déconcertantes. Ainsi, certains de vos plus proches amis pourront parfois se montrer involontairement maladroits. A contrario, quelqu’un que vous connaissez à peine pourra être un exemple de tact, de délicatesse et de bienveillance sur le sujet.
Notre civilisation a malheureusement accumulé des siècles de lâcheté vis à vis du handicap, et il n’est donc inné pour personne de savoir comment se comporter dans ces contextes. Je n’ai pas peur de dire que j’ai très certainement bien pu être un connard moi aussi à certains moments par le passé ; préférant fermer les yeux, détourner le regard, parce que je n’étais pas concerné, parce que ça fait peur, parce qu’on se sent un peu idiot, ou plus simplement parce qu’on ne se sent pas à l’aise.
Même vos propres parents, vers qui vous aurez le réflexe filial de vous tourner en premier lieu, ne seront pas systématiquement d’un grand secours. Pendant la phase de « déni », ils auront peut-être perçu avant vous la possibilité d’une anomalie génétique. Mais bien souvent, ils ne vous diront rien. Pour de multiples raisons évidentes, mais surtout parce que ce n’est pas leur rôle. Ne leur en voulez pas d’avoir sûrement vu avant vous ce que vous ne vouliez peut-être pas voir. Et ne leur en voulez pas non plus de ne vous avoir rien dit. Enfin, au-delà de tout l’amour qu’ils ont pour vous et pour leurs petits-enfants, il est réellement impossible pour eux (comme pour beaucoup) de mesurer l’ampleur du défi auquel vous tentez de faire face au quotidien.
Essayez cependant de n’en vouloir à personne. Même les gens les plus maladroits ont quelque chose à vous apporter. Ne jugez pas ceux qui ne sont pas forcément à l’aise vis à vis du handicap ; ça ne veut pas dire qu’ils n’ont pas de conscience ni de respect pour ce que vous affrontez. Bien au contraire, laissez-les vous offrir ce qu’ils ont de meilleur à vous offrir : des rires, une autre forme de soutien, de la légèreté, de l’évasion, de l’Amitié. Plongez dans tout ceci, rassasiez-vous de tout ce qui doit absolument continuer d’être beau, drôle, idiot et léger. Vous avez le droit de continuer à rire et à sourire. Vous en avez non seulement le droit mais surtout le devoir !
Communiquez ! Communiquez ! Et surtout… communiquez !
De manière générale, le défaut de communication dans un couple est bien souvent très dangereux. Dans le cas précis, de l’épreuve du handicap, c’est tout simplement dévastateur. L’absence de communication ne peut créer que de l’éloignement :
Tout d’abord parce que pour affronter une épreuve, on a tendance à déclencher des mécanismes proches de l’instinct de survie. On se replie sur soi, on intériorise, on se forge une carapace (que l’on pense être protectrice). On court donc le risque d’autoentretenir ce déficit de communication.
Ensuite, parce que deux individus ne vivront pas les choses de la même manière. Un homme et une femme ont chacun une sensibilité qui leur est propre, un rythme qui leur est propre et la seule manière de respecter nos différences c’est de les apprivoiser, de les comprendre ; et pour les comprendre il faut les partager. Tout ceci semble affreusement banal quand on le dit comme ça, mais quand on est dans l’œil du cyclone, plus rien n’est évident.
Enfin, parce que les intentions peuvent bien souvent succomber aux interprétations. À titre personnel, je ne compte pas les soirs où je me suis effondré à la sortie du bureau, sur le chemin du retour à la maison, séchant mes dernières larmes avant de mettre ma clé dans la serrure de la porte. « Poker face »... pour faire bonne figure, pour avoir l’air fort, pour montrer que je tenais bon, pour ramener un bon « mood » à la maison. J’ai malheureusement compris très récemment que cela avait pu être perçu très différemment : si votre conjoint(e) vous voit fort et enjoué « comme si de rien n’était », il peut en effet penser que vous prolongez le déni, que vous continuez de « fermer les yeux ». Pire encore, ne vous voyant jamais craquer, votre conjoint(e) peut être amené à penser que lui non plus n’en a pas le droit... ce qui ne fait au final qu’augmenter sa souffrance. Ainsi, là où je pensais bien faire, force est de constater aujourd’hui que j’ai vraiment très mal fait !
Dernier exemple, que je me dois de confesser avec un brin de honte : il m’a fallu 8 ans pour rejoindre ce groupe Facebook ! Alors-même que ma femme y était depuis les débuts et alors même que j’ai toujours eu un immense respect pour votre démarche et pour tout ce que vous accomplissez. J’avais simplement des raisons très personnelles (peut-être idiotes ?) et très pudiques de ne pas vouloir m’y impliquer (considérer ma fille dans son individualité plutôt qu’à travers un collectif, ne pas limiter mon investissement à ses côtés sous la crainte d’éventuels « plafonds de verre », etc.). Aussi respectable soit-elle, cette conception qui était la mienne demeurait néanmoins obscure voire incompréhensible tant que je n’avais pas pris la peine de l’expliquer. Là aussi je reconnais que je n’ai pas su bien m’y prendre. Le combat à mener est d’une telle violence que plus rien n’est évident, tous les repères sont mis à rude épreuve.
Bref, parlez-vous, prenez-vous dans les bras, pleurez ensemble, riez ensemble… échangez le plus possible de manière à respecter collectivement la manière dont vous vous battez individuellement.
N’ayez pas peur de vous faire accompagner (au contraire !)
Psychologues, psychothérapeutes, etc. des mots qui peuvent faire peur, ou laisser indifférent (par méconnaissance, par souci d’égo, par excès de confiance, etc.), alors-mêmes que ces spécialistes pourront vous être d’un immense secours. Car ils vous aideront notamment dans la phase la plus cruciale : celle du deuil. Le deuil d’un « idéal », le deuil d’une vie projetée, le deuil d’une forme d’insouciance.
Ayant moi-même été très longtemps réfractaire, je peux vous affirmer aujourd’hui que c’est la plus grande erreur que j’ai commise ; et il m’a fallu 8 ans et un nouveau tremblement de terre pour le mesurer.
Je martelais pendant des années « n’avoir besoin de personne pour trouver les réponses à mes questions ». Néanmoins, même si vous êtes convaincu d’avoir déjà les réponses en vous, le fait de vous confronter à un tiers va vous pousser à les verbaliser ; ce qui est très différent et pousse la réflexion à un niveau largement supérieur.
Dans le cadre d’une thérapie de couple (que je recommande mille fois, surtout si vous avez l’impression que tout va bien !), vous serez même amené à verbaliser devant votre conjoint(e), ce qui est incroyablement intense et précieux.
Si je pouvais rembobiner le film de ces dernières années et changer une seule chose, ce serait celle-ci. J’aurais rêvé bénéficier de ces conseils
Ne laissez pas cette maladie s’en prendre à vous une deuxième fois
Comme si un séisme n’était pas suffisant, on est parfois exposé aux répliques. Attention au volcan endormi. Si vous n’êtes pas bien accompagné, si vous ne communiquez pas suffisamment, cette épreuve ne se limitera pas au seul combat de votre enfant. À la manière de l’eau qui s’infiltre partout, cette maladie peut s’insinuer pernicieusement dans les rouages de votre équilibre conjugal et familial.
La souffrance intériorisée, les blessures mal cicatrisées, les incompréhensions accumulées participeront lentement mais surement à une forme d’éloignement qui peut avoir des conséquences dévastatrices. Le risque étant d’entendre, un jour, « on s’est battu ensemble mais on a souffert côte-à-côte ».
Votre famille est ce que vous avez de plus précieux, prenez-en soin, protégez-la et battez-vous !
Février 2022
Antoine Sudérie
Papa d'une Kool Kid née en 2014